La bataille de l'instruction à domicile
Ce jour-là, Élisabeth, Aymeric et Jean achèvent leur périple en Normandie par la découverte de la basilique de Lisieux. Auparavant, ils ont parcouru les plages du Débarquement, admiré à Bayeux la tapisserie racontant la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant et visité des musées sur la Seconde Guerre mondiale. Ils ont 6, 8 et 15 ans, et rien ne les distingue des enfants de leur âge, sinon qu’ils ont sans doute plus de temps libre : ce sont, dit-on, des « non sco » (non scolarisés). Leurs parents ont choisi de les instruire à domicile, et l’école à la maison, c’est bien souvent l’école hors les murs !
©P.BESSARD-REA |
Cette semaine, c’est entre le Bessin et le pays d’Auge qu’ils ont révisé leur Histoire, entre amis puisque plusieurs familles des Yvelines et d’Eure-et-Loir s’étaient associées pour organiser cette sortie. « On se voit une fois par mois », précise Élisabeth, du haut de ses 8 ans.
Ambiance amicale mais studieuse : « Ils ont pris des notes et je vérifierai ce qu’ils ont appris », précise leur mère, Marie, qui résume : « Pour faire l’école à domicile, il faut aimer passer du temps avec ses enfants, apprendre et transmettre. » Apparemment, ses élèves apprécient ! « J’aime beaucoup l’école à la maison, chantonne Jean, 6 ans, on a plein de temps pour faire de la musique. Moi, je fais du violon ! » Élisabeth adore lire, surtout des contes de fées. « Je suis allé à l’école, mais je n’y apprenais pas à mon rythme, poursuit l’aîné, qui prépare son brevet. Je ne m’ennuie plus ! »
Comme eux, vingt-cinq mille enfants sont instruits à domicile. Beaucoup par nécessité : enfants de familles expatriées, ou malades. Ceux-là suivent souvent les cours du Centre national d’enseignement à distance. Mais d’autres le sont par choix : près de sept mille quatre cents, selon le ministère de l’Éducation. C’est peu, mais leur nombre a plus que doublé en cinq ans ! Selon la loi, l’instruction des enfants, obligatoire de 6 à 16 ans, « peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles », après déclaration à la mairie.
Le ministère, toujours sourcilleux, commence pourtant à s’inquiéter de cette augmentation, sans s’occuper des raisons profondes d’un choix assumé par ces parents.
La révolution du Net
À vrai dire, ces raisons sont presque aussi diverses qu’il y a de familles. Pour Cécile, mère de cinq enfants, dont le dernier a 14 ans, c’est « une mauvaise expérience » avec l’institutrice du village, souvent absente, qui l’a convaincue de franchir le pas. L’impression aussi que « l’Éducation nationale [la] dépossédait de ses enfants et de son rôle de maman : l’école rythmait notre vie, au détriment des moments de complicité familiale ». C’est aussi ce qui a décidé Jeanne, qui vit dans le Loiret : « Mon mari est antiquaire, il travaille les samedis et dimanches. Si nous avions mis nos enfants à l’école, nous les aurions privés de leur père. »
Comme beaucoup, Charlotte a la conviction que « l’école ne peut pas être à l’écoute de chaque enfant : j’ai voulu m’adapter à ma fille pour qu’elle puisse progresser à son rythme ». Léa a donc appris à lire plus tôt qu’elle ne l’aurait fait à l’école, mais elle s’est mise à écrire plus tard. « L’enfant a besoin de temps pour se construire », estime Marie, qui dit s’être ennuyée tout au long de sa scolarité : elle ne voulait pas que les siens soient « abîmés par l’école ».
Stéphanie s’est beaucoup intéressée aux pédagogies alternatives : Célestin Freinet, Maria Montessori Sa fille Louise, 7 ans, est une enfant précoce. « Elle a fait une merveilleuse année de maternelle, mais elle s’ennuyait au cours préparatoire. Elle se renfermait sur elle-même. Nous avons préféré nous occuper d’elle. » Claire, qui vit dans l’Indre, a deux enfants, dont l’aîné est dysgraphique : « J’ai conçu pour lui des programmes spécifiques. C’est finalement très facile : Internet regorge de ressources adaptées et presque gratuites ! »
L’instruction en famille, un jeu d’enfants ? Auparavant, les mamans car ce sont elles qui s’y collent faisaient avec les moyens du bord : la méthode Boscher pour apprendre à lire et quelques vieux manuels réputés pour leur sérieux. Aujourd’hui, l’offre éditoriale s’est étoffée : « J’apprécie beaucoup la Librairie des Écoles », confie Mathilde. D’autres familles inscrivent leurs enfants à des cours privés à distance (lire encadré).
Mais c’est surtout le Net qui a changé la donne : il offre aux parents de nombreux outils pédagogiques, et les réseaux sociaux mettent en relation des familles qui se découvrent beaucoup plus diverses qu’elles ne le pensaient elles-mêmes : « Ne croyez pas que l’instruction à domicile est réservée à des familles aisées dont la mère ne travaille pas,prévient Jeanne, je suis parent solo, et j’exerce un métier : traductrice ! »
Quant aux convictions, elles sont aussi variées, des familles catholiques parfois interpellées par les programmes de l’Éducation nationale aux parents bohèmes que les rigidités de l’école indisposent. Tous insistent sur les bénéfices que leurs enfants tirent de cette éducation particulière.
Un principe constitutionnel
On entend souvent que l’école serait indispensable à la socialisation des enfants. « Mais nos enfants ne sont pas moins sociables que les autres, et nous ne vivons pas en marge de la société ! », corrige Nathalie, dont le fils a l’âge d’aller en quatrième. La plupart ont des activités sportives ou culturelles. Beaucoup ont aussi connu l’école, et certains fréquenteront le lycée. « Le primaire et le collège, ça va, poursuit Nathalie, il y a beaucoup de répétitions à l’école ! Le lycée, c’est quand même plus compliqué, je ne suis pas sûr d’avoir le niveau. »
Beaucoup de ces familles l’assurent, le retour dans le giron de l’Éducation nationale, quand il se fait, se passe sans problème : l’instruction à domicile, c’est aussi l’apprentissage de l’autonomie, doublé d’une exigence qui responsabilise l’enfant : « Je leur laisse une certaine liberté, qui les oblige à se prendre en charge tout en gardant l’œil sur eux ! », résume Jeanne.
Voilà pourquoi tous ces parents ne comprennent pas que le ministère veuille renforcer les contrôles qu’il exerce déjà sur l’éducation de leurs enfants. Valérie Vincent anime avec dynamisme le Collect’IEF, qui fédère plusieurs associations défendant l’instruction en famille : « C’est un droit ! », rappelle-t-elle. Najat Vallaud-Belkacem a d’abord évoqué les risques de « radicalisation », elle n’en parle plus : les djihadistes n’ont pas fait l’école à domicile ! « Elle insiste aujourd’hui sur l’augmentation du nombre d’enfants instruits en famille, mais en quoi une augmentation constitue-t-elle un risque ?, demande Valérie Vincent. L’administration veut imposer sa logique scolaire, mais nous défendons un principe constitutionnel : la liberté d’enseignement. Et nous sommes bien décidés à faire valoir ce droit, dans l’intérêt de tous. »
Le choix des cours à distance
Il existe de nombreux établissements privés d’enseignement à distance, régis par des textes différents de ceux qui réglementent l’instruction en famille. Enseignante, Florence Bouvet a cofondé le Cours Sainte-Anne, à Paris, « spécialiste du primaire, de la maternelle jusqu’à la 6e incluse. Nos programmes ont été validés par l’inspection académique, même s’ils sont différents de ceux de l’Éducation nationale, car nous sommes dans l’enseignement libre », précise-t-elle. Elle aussi constate une évolution depuis la création du cours, en 1996 : « Au début, nous avions beaucoup de familles d’expatriés. Nous nous occupons aussi d’enfants que l’Éducation nationale peine à prendre en charge, qu’ils soient précoces ou "dys" [dyspraxiques ou dysgraphiques, par exemple]. Au fil du temps, nous avons vu arriver des familles de tous milieux, dont certaines nous disent que leurs enfants "s’ennuient à l’école" ou s’étiolent, car les méthodes qui leur sont proposées ne leur conviennent pas. » La plupart des familles sollicitées évoquent l’exigence de l’enseignement dispensé par le cours Sainte-Anne. Florence Bouvet insiste surtout sur l’attention portée aux enfants et « l’accompagnement personnalisé » dont bénéficient les familles : « Nos correctrices vérifient très régulièrement le travail des élèves, nous conseillons les familles, délivrons les certificats de scolarité » Elle estime à quatre heures « au plus » le temps de travail fourni par les enfants scolarisés à domicile, ce qui laisse aux parents la liberté d’organiser, en plus, des activités culturelles.
Source : Famille Chrétienne